La gravure et l’oeuvre graphique ont suscité et suscitent encore de nombreux commentaires très variés. Des approches qui prétendent aborder le monde de l’art graphique selon des perspectives historiques, mais aussi selon des visions théorico-techniques où abondent les questions endogènes, réductionnistes, ce qui ne contribue nullement à une analyse rationnelle des conceptions ouvertes aux multiples hybridations et métissages caractéristiques de l’art actuel, auxquelles la gravure ou l’art graphique ne sauraient demeurer étrangers. Toutefois, et fort heureusement, la démarche des artistes qui, franchissant les lignes de l’orthodoxie, repoussent les limites en un processus patent d’innovation créatrice, est aujourd’hui reconnue comme étant la plus juste. Nous y reviendrons plus loin, mais il nous paraît nécessaire de faire au préalable une brève digression sur les origines et l’évolution de la gravure et de l’art graphique.
Pendant des siècles, la gravure a joué un rôle essentiel dans la transmission des images, et donc de l’information. Dans le monde et la société où il nous a été donné de vivre, saturés d’images, d’informations, jusqu’à l’épuisement, il nous est difficile de comprendre l’importance vitale que les images gravées ont pu avoir à des moments précis de notre histoire. À l’heure actuelle, quand quelqu’un sort dans la rue, il a aussitôt à sa portée plus d’informations, visuelles ou écrites, que n’en ont jamais en la plupart de nos congénères tout au long de leur vie. En un seul jour, on peut voir cent fois plus d’images que des hommes du XVe siècle au cours de leur existence. Il n’est donc pas facile de bien saisir ce qu’a pu supposer l’avènement des techniques de reproduction des images contribuant à un plus large transfert de l’information. Il est vrai, et il convient de le préciser, que la prétendue démocratisation de l’accès à l’image qu’aurait permis la gravure n’est pas réelle. On oublie trop souvent que les premiers livres illustrés et les estampes isolées (à l’exception des jeux de cartes, des brochures de colportage, des images rudimentaires de dévotion populaire) étaient limités à un nombre restreint de personnes dont l’origine sociale, la formation ou la profession leur permettaient de savoir lire et écrire et d’accéder aux premiers opus sortis de l’imprimerie à caractères mobiles et illustrés de gravures sur bois. De sorte que seuls quelques représentants de la noblesse, du haut clergé, de l’enseignement universitaire et de la haute fonction publique purent bénéficier du grand progrés que représentaient l’édition au moyen de l’imprimerie et la multiplication de l’image grâce aux gravures xylographiques, puis à la chalcographie.
La gravure était donc une technique de reproduction des images et des signes. Des signes et des images qui pouvaient, en outre, être fidèlement multipliés. Ce pouvoir fit de la gravure dès origine, et avant, son, le développement des caractères mobiles au XVe siècle, un très puissant outil de communication. Grâce à la facilité d’informer visuellement, son pouvoir d’influence sur la pensée et la culture est incontestable.[1] Ce qui a amené certains auteurs, tel Juan Carrete, à conclure que l’histoire de la gravure pourrait être également «l’histoire de sa diffusion, que ce soit en raison des tirages réalisés, des lieux qu’elle a atteints ou des diverses et multiples fonctions qu’elle a assumées.»[2]
Les premières estampes connues en Occident sont des gravures sur bois datant du début du XVe siècle, à teneur avant tout religieuse, et qui sont la plupart du temps de simples ornements dans les premiers livres imprimés. Les gravures sur bois sont utilisées et réutilisées dans une volonté affirmée de faciliter la lecture. Mais ces images, d’abord ornementales, ne vont pas tarder à jouer un rôle central, «et loin d’être une simple parure vont devenir un élément fondamental de l’argument.»[3] Dès le XVIe siècle, on peut observer l’influence fréquente des estampes sur les compositions picturales, d’abord murales, puis en tous genres. La nette influence de la gravure sur la peinture du XVIIe siècle est bien documentée.[4] La prolifération des estampes grâce à l’utilisation généralisée des techniques de taille-douce, au détriment de la gravure sur bois, facilite la circulation des modèles de composition. Et, plus important encore, accélère l’expansion des nouveaux mouvements artistiques, sans compter les nouveaux courants idéologiques. Les premières gravures en taille-douce semblent être sorties des ateliers des orfèvres italiens, qui gravaient au burin de fins sillons sur une plaque en métal, puis les encraient et les imprimaient pour mieux apprécier le processus de réalisation. Cette technique, appelée nielle, allait être employée par l’orfèvre florentin Tommaso Finiguerra dans ses estampes, qui passent pour être les premières réalisées en taille-douce et qui se caractérisent par d’intenses lignes parallèles, plus rapprochées lorsqu’on cherche des effets d’ombre. En raison de ses qualités picturales, l’eau-forte sera la technique préférée des peintres, tandis que la taille-douce gardera la faveur des graveurs interprètes.
Si Dürer, le grand maître allemand doté d’une haute maîtrise technique et d’un art raffiné, incarne le sommet de la gravure de la Renaissance au XVe siècle – ses images, généralement xylographiques, permirent la diffusion de modèles paradigmatiques dans l’iconographie de cette époque –, c’est Rembrandt qui va devenir le modèle et la référence de la gravure baroque. Alors que Rubens entend tirer profit des débouchés commerciaux offerts par la reproduction de ses tableaux les plus représentatifs, menée à bien dans les ateliers qu’il dirige, Rembrandt fait sauter le carcan des trames linéaires traditionnelles pour mieux explorer librement les limites de la technique, mise au service de son expressivité personnelle. À vrai dire, il ne dédaignait pas non plus la rentabilité économique qu’offrait la multiplication de ses séries, mais il atteignit incontestablement des sommets dans des estampes où la lumière jouait un rôle de premier plan.
Cependant, au XVIIe siècle, le livre reste le principal objet porteur d’images. De même, ce sont les estampes des livres qui nous familiariseront avec les progrès de la science (médecine, botanique, etc.), en jouant un rôle majeur dans la diffusion des nouvelles connaissances scientifiques, de leurs progrés. Et favorisant ainsi une accélération exponentielle dans le développement technique, qui allait atteindre son apogée au siècle des Lumières, avec la documentation des voyages d’exploration et de recherche si prisés des savants de l’époque. Mais c’est aussi en raison de son intérêt pédagogique que les hommes de lettres «éclaires» vont faire de l’estampe un outil essentiel dans la transmission des nouveaux canons.
Cependant, c’est vers la deuxième moitié du XIXe siècle que la gravure, principalement l’eau-forte, va cesser d’être une simple technique de reproduction pour devenir un instrument de création. Le précurseur le plus marquant de cette évolution est le sourd génial de Fuendetodos, Francisco de Goya, qui, de son propre aveu, eut le loisir, dans la gravure d’invention, de s’exprimer librement, pouvant ainsi «se livrer à des observations auxquelles ne mènent pas d’ordinaire les oeuvres de commande, où le caprice et l’invention sont à l’étroit.» Même si ce n’est pas vraiment nécessaire, on ne se privera pas de mentionner ses séries extraordinaires: Les Caprices, Les Désastres de la guerre, Les Proverbes, Les Disparates ou La Course de taureaux, où l’on perçoit une nouvelle appréhension de la pratique de ce médium, libérée de toutes les contraintes de la pureté technique, pour trouver de nouvelles ressources au service d’un discours esthétique novateur marqué par l’engagement social.
Dès lors, le prestige artistique de la gravure ne pourra que grandir, renforcé par l’investissement de nombreux artistes.[5] Parmi eux, les peintres de la nature, et plus particulièrement ceux qui se rattachent à l’école dite de Barbizon. C’est à ce moment-là que surgissent les célèbres sociétés d’aquafortistes. Les éditions auparavant illimitées, répétées jusqu’à l’épuisement matériel de la matrice, commencent à être réglementées. On limite les éditions, on numérote les tirages afin de donner à la gravure une reconnaissance semblable à celle de la peinture, auréolée de son statut d’oeuvre unique. Cette aura de l’unicité, sur laquelle Benjamin allait théoriser. Il fallait se défaire de cette conception du dix-huitième siècle qu’Antonio Rafael Mengs avait formulée ainsi: «le travail du graveur se borne à être une technique de reproduction d’originaux, subsidiaire, de ce fait, de la peinture et du dessin.»
Les graveurs se divisent, pour ainsi dire, en deux groupes bien distincts : les graveurs qui reproduisent et les graveurs qui inventent ou créent. Les graveurs qui s’en tiennent au sanctuaire de l’orthodoxie technique des secrets et des recettes de l’atelier pour produire des oeuvres d’interprétation ou de reproduction, et les graveurs qui sont prêts, non seulement à transgresser les principes de la pureté technique, mais aussi à rechercher de nouveaux discours où la création ne serait plus entravée par le culte de normes purement technologiques, mécanistes. Par conséquent, ce sont les artistes, et non pas les techniciens artisanaux, qui vont pratiquer la gravure et y introduire les objets propres aux courants d’avant-garde dont la progression, au début du XXe siècle, s’avère inexorable. L’activité des artistes qui font des gravures est prolifique et remarquable, comme le montrent superbement les expressionnistes, notamment Kirchner, Beckmann, Dix, Ensor ou Munch. Sans oublier les efforts de Picasso, Miró, Braque, et tant d’autres qui trouvèrent dans la gravure un terrain fertile pour la création.
Comme dans tous les domaines de la création, la seconde guerre mondiale provoque une rupture brutale dont la conséquence la plus immédiate est le déplacement de l’épicentre de l’avant-garde artistique vers les États-Unis. C’est aussi là-bas que la gravure et l’art graphique vont connaître une impulsion décisive qui va modifier leur conception et leur fonction. S. William Hayter transfère son célèbre Atelier 17 de Paris à New York, enseignant et diffusant, à travers certains de ses collaborateurs et disciples, ses innovations techniques et ses processus conceptuels. Aux États-Unis, dans les années 1950, on assiste au Print Boom, et des ateliers et des studios tels que Pratt Contempories (1956), Universal Limited Art Editions (1957) ou le Tamarind Lithography Workshop (1960) font leur apparition. Des ateliers où des artistes tels que Jim Dine, Jasper Johns, Robert Rauschenberg et Claes Oldenburg expérimentent et développent amplement les principes de l’art graphique. De même, Kenneth Tyler, au Gemini G.E.L. de Los Angeles, peu favorable aux oeuvres lithographiques très en vogue à l’époque, collabore à des éditions plus complexes, où l’hybridation et le métissage techniques sont constants, avec des artistes comme Joseph Albers, Kenneth Noland, Roy Lichtenstein, Rosenquist ou Frank Stella, pour n’en citer que quelques-uns.
En Europe, ce Print Boom arrive un peu plus tard et trouve sa raison d’être dans les abondantes éditions sérigraphiques des artistes du pop anglais, dans celles, plus contenues, des néo-expressionnistes allemands, qui ajoutent à leur goût pour la sérigraphie celui de la photolithographie et de l’Offset. Les conceptuels et le mouvement Fluxus emploient également l’estampe et les multiples reproductions comme composante de leur mission sociale. En Espagne, cette éclosion graphique n’apparaît que dans les années 1970[6], quand surgissent des initiatives aussi importantes que Grupo 15 ou Polígrafa et que sont créées les premières galeries de gravure, notamment Estiarte. Il se produit alors ce qu’Antonio Gallego décrit comme une période d’exubérance graphique. Une exubérance qui va se prolonger peu ou prou jusqu’aux années 1990 et dont se détache tout particulièrement le travail de réflexion et d’étude de la Calcografía Nacional, l’inauguration du premier musée consacré à la gravure et aux oeuvres graphiques, le Museo del Grabado Español Contemporáneo, et la première foire internationale de la gravure et des oeuvres en série, ESTAMPA. Le tout accompagné et complété par une multitude d’éditions, nouvelles galeries, expositions, publications et, surtout, de prix et de récompenses décernés à la gravure et à l’art graphique. Cette éclosion s’accompagne alors de la mise en place et du développement d’un nombre sans précédent de processus, de langages et de produits graphiques, phénomène auquel n’a pas été étrangère l’introduction des outils électroniques dans la création graphique.
Après cette petite digression, nécessairement brève, sur l’évolution historique de la gravure et de l’art graphique, se posent à nous diverses questions théoriques et conceptuelles bien présentes et bien vivantes dans la perception actuelle de la gravure, lesquelles ont donné lieu à une bibliographie qui, sans être abondante, offre le plus grand intérêt.
L’une des premières questions qui surgit est celle de la terminologie, et aboutit d’ailleurs à la publication d’un Diccionario del Dibujo y la Estampa [Dictionnaire du dessin et de la gravure], publié en 1996 par la Calcografía Nacional et coordonné par Javier Blas. On aura remarqué, au fil de la présente réflexion, que nous avons accolé au mot de gravure un deuxième concept, celui d’oeuvre graphique. Et s’il en est ainsi c’est que, même si l’on applique couramment, par extension, le nom de gravure à toutes les estampes, il ne désigne à proprement parler que ce qui a été incisé directement ou indirectement, rayé ou sculpté. Toutefois, selon Juan M. Moro,[7] «on peut donc dire que c’est un terme historique qui a pris un sens large et générique, et dont l’ambiguïté relative s’estompe du fait qu’il évoque avant tout un principe unificateur agglutinant les procédés qui composent l’univers des techniques de reproduction graphique, celui de l’existence d’une image sur un support ou une matrice qui permet sa reproduction ou son transfert sur un autre support.»[8]
Cette question terminologique[9] n’est pas une affaire anodine, car c’est dans cet aspect de la gravure et de ses particularités technologiques, de sa singularité mécanisée et mécaniste, que beaucoup se réfugient pour résister, parfois désespérément, à une extension, pour ne pas dire une transgression des limites imposées par la spécificité des techniques graphiques. Mais c’est aussi l’endroit où ceux qui prônent la mort de la gravure trouvent le terreau le plus fertile pour s’en prendre à elle. Cependant, tout comme ceux qui autrefois prédisaient la mort de la peinture, ceux qui prophétisent bruyamment celle de la gravure se trompent. Même si certains des «talibans» de la gravure et de ses arcanes semblent parfois résolus à leur donner raison. La gravure n’a jamais cessé d’être en proie à un processus d’adaptation, de transformation pour continuer à remplir sa fonction expressive, en tant que véhicule d’expression artistique des nouvelles stratégies de la création contemporaine. De même que la taille-douce a succédé à la gravure sur bois, de même que la lithographie a conquis sa place dans le monde de l’impression graphique et que la sérigraphie est devenue une «lingua franca» de tous les artistes du dernier quart du XXe siècle, ainsi les nouveaux médias, les désormais mal nommées nouvelles technologies, se sont tout naturellement invités dans le monde graphique. La gravure et l’art graphique, à une époque d’expansion technologique incessante, ne peuvent demeurer étrangers aux changements continuels, aux nouvelles façons de voir. De nouveaux médias et de nouvelles façons qui, en changeant notre regard, changent nécessairement le langage, les langages. C’est assurément dans les espaces d’hybridation, dans les zones interstitielles, dans les parcours transversaux, aux frontières, ou dans leur dissolution, que le monde de l’art gra phique se trouve aujourd’hui. Car, comme le dit Javier Blas, sans doute l’une des voix les plus autorisées dans ce débat, «l’art graphique est le plus métissé de tous les genres et c’est l’une de ses plus grandes vertus.»[10]
Il est non moins intéressant d’écouter José Ramón Alcalá, l’un des auteurs les plus prolifiques quant à l’étude des alliances « hétérodoxes » entre la gravure et les nouveaux procédés technologiques. En fait, ce défenseur à outrance des nouveaux médias, des stratégies novatrices, outre qu’il transgresse bien entendu les limites qu’impose la technique elle-même, reconnaît que, même dans ce qu’il appelle les processus hégémoniques de la gravure contemporaine, on peut trouver des cohabitations de convenance – trafiquer des mariages, dit-il – avec des procédés plus traditionnels pour doter les oeuvres d’une série de valeurs artistiques, essentiellement liées aux qualités tactiles, qu’elles n’auraient pas autrement. [11]
Par conséquent, il rien d’extravagant de donner raison à Susan Tallman[12] quand elle affirme que «de 1960 à nos jours, la gravure s’est déplacée de la périphérie vers le centre même de l’intérêt et de la production dans les beaux arts, en devenant une forme artistique critique dans la mesure où ce n’est qu’a partir de ses procédés que peuvent être formulées certaines des questions les plus cruciales de l’art récent, notamment: le penchant à explorer les mécanismes du sens et de la communication, le désir de révéler les processus par lesquels une image est créée, la volonté d’explorer ou de manipuler les contextes économiques et sociaux dans lesquels l’art évolue, et la conviction profonde que connaître les rouages de la reproduction de l’image est essentiel pour comprendre la vie et la culture à la fin du XXe siècle.» On peut à partir de là en déduire, si ce n’est le pourquoi, du moins l’une des causes de la survie de la gravure et de l’oeuvre graphique, après un demimillénaire d’existence, et de leur pleine intégration dans les discours de l’art contemporain, qui à son tour pertage également beaucoup des éléments qui définissent la gravure et l’oeuvre graphique, comme la capacité de sérialisation, d’accumulation ou de fragmentation.
C’est cette capacité de transformation, ce pouvoir d’adaptation aux circonstances nouvelles à partir des anciens procédés, qui est sans aucun doute la cause fondamentale de la survie de la gravure, de l’oeuvre graphique en général, bien qu’elle n’ait en tant que telle guère de raison d’exister selon les termes traditionnels de sa définition, qui lui furent autrefois inhérents : matrice/support et impression, sérialisation ou multiplicité, qui ne lui appartiennent plus proprement. Malgré tout, on continue à graver. Il y a encore des expositions et des concours, des biennales et des séminaires, des rencontres et des salons. Car, nous l’avons dit plus haut, la gravure n’est pas morte, pas plus que la peinture. L’impression et l’art graphique peuvent cohabiter avec la photographie et ses avatars – vidéo, cinéma, télévision –, et aussi avec les ordinateurs. Ils peuvent le faire seuls ou dans des mariages arrangés.
Et il en sera ainsi tant qu’il y aura des artistes ayant des choses à dire et comprenant que le monde de l’art graphique, dans chacun de ses procédés, peut les aider à élaborer leurs discours, leurs stratégies de création. Parce que ni les uns ni les autres ne sont des procédés qui excluent, parce qu’on peut avoir un discours résolument actuel en utilisant des techniques traditionnelles, et vice-versa, un discours ringard et dépassé en utilisant les procédés et les techniques les plus novateurs. Peu importe le moyen, c’est le message qui est important. Certes, par les temps qui courent, c’est le moyen même qui constitue le message. Ce n’est pas moi qui vais le contester, mais si quelqu’un a quelque chose à dire il trouvera toujours la manière de le dire. Alors que celui qui n’a pas rien à raconter aura du mal à raconter ou chanter quoi que ce soit, même avec de nombreux moyens à sa disposition. Parce qu’il ne s’agit pas d’une somme de techniques et de processus fermés, mais d’une disposition, d’un processus conceptuel de tra vail fondé sur un principe général de transfert d’une image d’un support à un autre (Martínez Moro). Et il s’agit donc, dès lors, d’explorer, transgresser, fusionner et violenter au besoin les limites, parce que l’important n’est pas le comment faire, mais que faire.
Et il en sera ainsi tant qu’il y aura des gens prêts à écouter ces messages sans ce soucier du processus. Et parmi ces gens figurent les collectionneurs, oiseaux rares dans notre pays, par lesquels, grâce à leur générosité, nous avons accès à la contemplation de notre histoire à travers les images que le temps a sédimentées, décantées, en l’occurrence sur le papier. On ne peut donc que remercier M. Gelonch Viladegut qui a généreusement rassemblé – sûrement avec la patience propre au collectionneur – cette importante collection qui, de Dürer à nos jours, nous permet de comprendre visuellement, sensoriellement, comment et pourquoi la gravure et l’oeuvre graphique, dans leurs différentes techniques et à travers leurs différentes époques, ont perduré jusqu’à nos jours comme moyen d’expression efficace et pleinement actuel.
[2] Carrete Parrondo, J., «El arte de la estampa», dans Colección Rodríguez-Moñino-Brey. Estampas. Real Academia Española, éd. Fundación Cultural Mapfre Vida, Madrid, 2004.
[3] Cf. Gallego, A., Historia del Grabado en España, éd. Cátedra, Madrid, 1990.
[4] Parmi les études les plus connues, citons celles du professeur Pérez Sánchez, de même que celles de son disciple Benito Navarrete.
[5] Delacroix, Blake, Manet, Degas, Gauguin, …
[6] Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu un notable dynamisme dans le monde de la gravure, bien étudié par Antonio Gallego Gallego dans son Historia del Grabado en España, éditée par Cátedra. Ce Mouse mouvement est très lié, d’une part aux éditions pour bibliophiles telles que les Estampas de la Cometa, la Rosa Vera, Tiempo para la Alegría, de l’autre aux activités menées à bien par des groupes comme Dau al Set, el Paso et, surtout, Estampa Popular.
[17] Martínez Moro, J., Un ensayo sobre grabado a finales del siglo XX, éd. Creática, Santander, 1998.
[8] Pour sa part, le Diccionario del Dibujo y la Estampa définit l’art graphique comme étant les différents processus utilisés par l’artiste pour agir sur un support, y laissant son empreinte – une image, une forme, une ligne, une couleur –, empreinte susceptible d’être transférée sur un autre support, habituellement du papier, en mettant en contact les deux surfaces par la pression d’une presse, après encrage du premier de ces supports ou matrice.
[9] Cette question de terminologie explique la difficulté d’accès à une meilleure connaissance de la complexité de la gravure et de l’art graphique chez le grand public. Ce qui, de même que son caractère multiple, est aussi la source de son prestige en tant qu’oeuvre d’art auprès de ceux qui méconnaissent le processus et les procédés, non seulement techniques, mais aussi conceptuels, qui constituent la genèse d’une estampe.
[10] Blas Benito, J., «Especulaciones sobre la estampa (en siete actos)», dans 10 años de grabado y edición de arte en la Escuela de Arte de Oviedo, éd. Escuela de Arte Oviedo. María Álvarez Morán (coord.), Oviedo, 2008.
[11] Sur cet aspect, son article «El grabado actual: entre la artesanía y la guetonización», dans le catalogue de la deuxième édition d’Ingráfica (Cuenca, 2009) est du plus haut intérêt, comme d’ailleurs presque tous ses écrits.
[12] Tallman, S., The Contemporary print: from pre-pop to posmodern, cité par Juan M. Moro.
José Maria Luna
Directeur du Museo del Grabado Español Contemporáneo (Marbella)