La mondialisation fait que les échanges entre tous les peuples et tous les continents sont à l’ordre du jour. Mais avant cette mondialisation économique il y a eu des siècles de domination, de colonisation des uns envers les autres. Dans cette démarche, le rôle des peuples européens a été central. L’Espagne, le Portugal et la Grande Bretagne ont globalement colonisé l’Amérique; la Grande Bretagne et les Pays Bas ont étendu leur vocation ‘civilisatrice’ à l’Asie et à l’Océanie. La France et, encore elle, la Grande Bretagne ont été les puissances colonisatrices de l’Afrique. A grands traits celle-ci pourrait être une photo des mouvements de colonisation entre continents.
Mais dans ce type d’échanges, l’art a aussi eu son rôle à jouer. La découverte et la mise en évidence de ces échanges vient tout juste de commencer, mais il faudra les valoriser et, surtout, chercher des chemins d’entente pour essayer de trouver les points de contact et les portes qui peuvent ouvrir des chemins d’avenir.
Si l’on a commencé à mettre en évidence les échanges entre les colonisateurs européens et les communités locales pré-colombiennes d’Amérique, avec de très bons exemples dans quelques musées des Etats-Unis principalement, les liens culturels entre l’Afrique et l’Europe à travers l’art sont à mon avis bien moins connus.
Une fois encore aux États-Unis, au Walters Art Museum de Baltimore, une exposition intitulée « Revealing the African Presence in Renaissance Europe » (Mise en valeur la présence de l’Afrique dans la Renaissance européenne), entend retracer une histoire artistique, politique et raciale que peu de musées ont explorée dans toute son ampleur. Les questions tout autant que les réponses y sont à l’honneur, et des oeuvres d’art sacralisées par des générations d’admirateurs y sont présentéees sous un angle inattendu.
Les liens entre l’Europe et l’Afrique sont aussi immémoriaux qu’irréguliers. Renforcés tout au long de l’Empire romain, ils se sont renouvellés au cours des XVème et XVIème siècles.
Concrétement, au milieu du XVème siècle, l’Europe expansionniste était avide de nouveaux marchés et de nouvelles matières, tandis que l’Église catholique pratiquait l’une de ses fonctions, c’est-à-dire l’apostolat. Superficiellement, l’Afrique et l’Europe entraient dans une ère d’échanges cosmopolites, qui ont eu aussi leur traduction en matière d’art. Cette convention s’affirma d’abord par la figuration picturale d’un Africain noir comme l’un des trois Rois mages, ainsi qu’en témoigne au début du XVIème siècle un très bel exemple flamand, ‘L’Adoration des mages’, tableau qui offre une vision d’harmonie multiculturelle.
En réalité, l’idée d’harmonie est rarement associée à l’Afrique dans l’esprit européen de la Renaissance; le continent noir est perçu comme abritant une faune bizarre et des peuples enclins à la violence et par nature destinés à la servitude. Jusqu’alors l’esclavage, institutionnalisé de longue date en Europe, visait depuis des siècles principalement des Blancs, originaires de la Méditerranée orientale et de la Russie. La traite des Noirs, qui débute au milieu du XVème siècle, modifie en ce sens la teinte de l’art européen.
On le constate, par exemple, dans un tableau où on y voit se côtoyer des Blancs et des Noirs de toutes classes sociales confondues sur une place de Lisbonne, ou dans un admirable dessin de Dürer qui a pour sujet une timide femme noire, esclave dans la demeure anversoise d’un client portugais auquel le maître rend visite en 1521. Dans un autre tableau, ‘Trois métis de Esmeraldas’ (de 1599), on y voit trois métis en habit de cour à l’européenne, mais munis de lances et dont le nez s’orne de bijoux en or. Cette peinture, qui est exposée habituellement au Musée du Prado à Madrid, a été réalisée en Équateur, qui était une colonie espagnole à l’époque. Elle représente un père et ses fils, descendants d’esclaves de plantations africains et de natifs du Nouveau Monde, à la tête d’une communauté afro-amérindienne.
Cette commande, un cadeau destiné au roi Philippe III d’Espagne, les montre aux Européens tels qu’ils sont: des congénères, différents mais égaux. Et au début du XVIIème siècle, pour l’Europe qui s’intéresse plutôt aux Amériques et á l’Asie, l’Afrique se résume à sa fonction initiale: une réserve de ressources naturelles et de main-d’oeuvre bon marché. En réalité, on doit constater qu’après la période de la Renaissance c’est le moment de la régression…
L’exposition se clôt par une resplendissante sculpture en bois du XVIIIème siècle figurant saint Benoît de Palerme, né en Sicile dans une famille d’esclaves africains; moine franciscain, il mena une vie exemplaire et fut canonisé en 1807. À l’époque où cette sculpture a été réaliséée, vers 1734, il avait depuis longtemps de fervents disciples en Europe, en Amérique et en Afrique. Aujourd’hui, c’est le saint patron de la communauté afro-américaine. Dans toutes les oeuvres qui le représentent se mêlent encore des traces de l’Europe de la Renaissance et de l’Afrique: à travers lui, les deux sont inséparables.
Peut-être, faudra-t-il solliciter la bienveillance et l’aide de saint Benoît de Palerme pour que nos musées s’intéressent à l’études de ces échanges fertiles et en susciter des nouveaux.
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