Cirque, tauromachie, poterie, colombophilie…Picasso !

Au nord de la Loire, qui dit Picasso dit cubisme, avant-garde, intellectualisme. Au sud, qui dit Picasso dit corrida, rusticité, enfance…Come on peut lire sur les pages de Le Figaro (« Picasso, les refrains de l’enfance », par Eric Biétry-Rivierre, du 23 Mai  ).

Joséphine Matamoros (musées de Céret et de Collioure) et Bruno Gaudichon (musée de Roubaix), deux très bons connaisseurs du Minotaure, à qui l’on doit déjà la réévaluation de ses céramiques, se sont penchés au MuCEM de Marseille sur les rapports qu’il entretenait avec les arts populaires. Cet angle fort utile pour cerner le travail du plus grand artiste du XXe siècle, n’est évidemment pas traité de manière exhaustive. Même sur une surface de plus de mille mètres carrés et en 270 pièces, on n’épuise pas le génie.

Y sont abordées les relations avec le cirque, la tauromachie, la poterie ou encore la colombophilie. Ces passions sont aussi fondamentales que les liens entretenus par Picasso avec les arts savants.

Par le rapprochement avec des objets-références, les œuvres de Pablo semblent se recharger de l’énergie de leurs racines. Peignes de maja et parures de dentelle (Jacqueline à la mantille), figures de saltimbanques (L’Acrobate bleu, 1929), guitares (Mandoline et clarinette, 1913), têtes de taureau (telle celle de 1942 faite à partir d’une selle et d’un guidon de vélo) reviennent en leitmotivs dans toutes les périodes et à travers toutes les disciplines.

Ces motifs, prétextes à arabesques et à couleurs éclatantes, revendiquent une obsession de l’Espagne connue dans la prime jeunesse et mythifiée depuis. On sait le déchirement de celui qui refusa de poser un pied sur son sol natal tant que durerait la dictature du général Franco.

Acrobates et musiciens, métaphores de l’artiste toujours aux marges et toujours en mouvement, constituent un des aspects du vaste autoportrait picassien. Ce thème du cirque mériterait une exposition à lui seul. Mais, déjà, l’arène succède à la piste. La section sur la tauromachie s’avère en effet des plus attractives. De nombreux prêts privés, dont de grands tableaux de toréadors, épousent le rituel complet avec les scènes de corrida décorant des assiettes, quelques sculptures, dessins, gravures et affiches. Du cortège des picadors à la mise à mort pourtant rarement représentée par Picasso. Celui-ci s’est en effet autant pensé en torero qu’en taureau. C’est son versant colosse sauvage chahutant les arts et aussi martyr romantique de la société.

Autre animal ô combien fétiche, le pigeon. Après-guerre, il deviendra officiellement colombe de la paix. Comme pour le taureau peint dès l’âge de 6 ans, cet animal apparaît dès les premiers travaux. Picasso père l’avait imposé comme modèle d’apprentissage. Le motif doit aussi être relié à la tradition de la colombophilie, très prégnante dans l’Espagne de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui encore, la villa La Californie, sur les hauteurs de Cannes, occupée par Picasso de 1955 à 1961, a gardé son pigeonnier. L’artiste l’avait aménagé dans son atelier. À cette époque, il construisait des pigeons en pliages.

D’autres oiseaux naissent de la déformation de bouteilles en terre molle tournée dans l’atelier Madoura. Coïncidence? Nouveau clin d’œil à la palombe tant et tant reprise depuis l’enfance? Les propriétaires de cette fabrique s’appelaient Suzanne et Georges Ramié. Jeux de mots et jeux tout court fusent ainsi dans l’œuvre. Avec l’âge, le tempérament ludique de Picasso s’est même accru. En témoignent ses découpages destinés à ses enfants ou à des amis. Ces jouets se trouvent encore largement conservés dans les collections familiales. Ils n’en sont que plus émouvants. Ils ramènent très clairement Picasso au rôle non pas d’artiste mais d’artisan-bricoleur.

Car Picasso s’est souvent voulu ouvrier parmi les ouvriers, en phase avec le quotidien humble et concret du travailleur manuel. La fréquence de ses incursions dans des processus artisanaux nouveaux pour lui l’atteste. On a rappelé son activité à l’atelier Madoura de Vallauris (Alpes-Maritimes). Il y métamorphosa tout le stock. Ainsi une gourde gardoise en terre cuite vernissée qui, entre ses mains, est devenue un gros insecte surréaliste. L’exposition évoque pareillement l’orfèvrerie aux côtés de François Hugo, la linogravure, le textile (Marie Cuttoli, Serrure, vers 1955, tapis en laine au point noué d’inspiration berbère) et la sculpture de tôle découpée.

La question du recyclage d’objets de rebut ou glanés puis détournés offre une très belle conclusion par un ensemble de sculptures telle La Guenon et son petit. Pour bâtir la tête de ce bronze, Picasso avait chapardé les petites voitures de son fils Claude…Caractère !

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