Dans un article apparu sur le blog de la Collection le 20 avril 2012, sous le titre de ‘Le plafond de verre et l’art contemporain’, j’écrivais, -et pardon si je me cite-, que « pour avoir le privilège de se voir consacrer une rétrospective au Centre Pompidou quand on est une femme artiste, il faut attendre 94 ans comme Aurélie Nemours, l’une des grandes figures du géométrisme abstrait de l’après-guerre, honorée en 2004 ».
Il y a certainement des exceptions, à ce malthusianisme qui s’applique aux femmes. Par exemple, celle de Sophie Calle dont la mise en scène impudique de soi correspond bien à notre époque d’hyper-narcisses voyeurs, ou celle d’Annette Messager qui eut le privilège de représenter la France à la biennale de Venise en 2005. Mais ces exceptions sont trop rares. Et pour qui visite un grand musée d’art contemporain, l’histoire de l’art semble s’écrire au masculin.
Et pourtant les femmes, au moins depuis la Seconde Guerre mondiale où elles se sont trouvées plus nombreuses à sortir de leur rôle de muses ou de modèles pour assumer pleinement celui de créatrices, ont contribué à enrichir la scène de l’art en en diversifiant les pratiques. Elles ont souvent même été plus audacieuses que les hommes.
L’absence de reconnaissance institutionnelle les a en effet incitées à prendre des risques: à explorer de nouveaux modes d’expression, à tenter l’aventure des nouveaux médias, à imaginer d’autres propositions formelles, à élargir le champ des thématiques, à faire bouger les frontières entre les genres, les courants, les tendances…Plus individualistes par nécessité, elles ont été plus inventives et souvent plus courageuses dans l’engagement parleur travail.
Cette force, cette richesse, cette vitalité, n’a pas échappé aux responsables des politiques d’achat de ces 30 dernières années. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil à la liste des œuvres acquises par le Centre Pompidou. Toutes les femmes artistes dont la production a retenu l’attention des critiques, des commissaires d’exposition, des responsables des grandes manifestations, y figurent. Mais si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que cet impressionnant catalogue est trompeur car, rapportées à la totalité des collections, les œuvres produites par des femmes n’en représentent que 18%. Surtout, on découvre que ces œuvres, très rarement exposées, dorment dans les réserves du musée.
Dès la fin des années 60 aux États-Unis, le mouvement «Women Artists in Revolution» avait fait figurer au nombre de leurs revendications que les musées devaient encourager les artistes femmes à surmonter des siècles d’ostracisme par l’établissement d’une parité dans les expositions, dans les achats publics et dans les comités de sélection. Ce projet politique contre la discrimination qui frappait les femmes artistes visait à faire passer leur travail de l’invisibilité à la visibilité.
Certainement le contexte actuel est loin d’être le même, et peut-être n’a-t-on pas besoin de gestes si audacieux, mais il est aussi certain qu’il reste pas mal de luttes à mener et beaucoup de marges de progrès. Contre toutes les formes de dévalorisation et de déclassement qui furent longtemps leur lot, il s’agit de faire reconnaître les œuvres des femmes à leur juste valeur. Contre le silence étourdissant qui marque leur place dans l’histoire de l’art, il s’agit de montrer le rôle éminent qu’elles y ont joué. Contre l’idée de vouloir faire croire qu’existe une pratique de l’art et une esthétique propres aux femmes, qui se signaleraient par des archétypes formels et thématiques, il faudrait présenter la réalité des femmes artistes qui ont utilisé toutes sortes de matériaux, de techniques, de sujets…Mettons en route un projet de justice historique et sociologique.
Et mettons-le aussi dans le monde de la pensée, de la réflexion sur l’art où on peut constater une situation assez similaire. On dirait, si on rend compte des histoires de l’art à cet usage ou des recueils érudit s à propos de ce sujet, que les femmes y sont presque absentes. Et cette petite œuvre aimera démontrer le contraire. Cet ouvrage rassemble 120 citations de 120 femmes, appartenant à différentes cultures et différents milieux, qui ont réfléchi sur l’art, sur le rôle des artistes et de l’œuvre d’art, sur le processus de création, sur la fonction et la compréhension de l’art ou sur les relations entre l’art et la vie. Ces citations comprennent la distillation de la pensée pendant trois siècles, de Madeleine de Puisieux (au XVIIIème siècle) aux Guerrilla Girls (très XXIème siècle).
Parce que, en plus, la réflexion des femmes sur le fait artistique ne date pas d’aujourd’hui; n’as pas attendu la deuxième partie du XXème siècle pour se manifester. Ainsi pouvons nous constater que, par exemple, 29 des femmes à qui nous avons emprunté une citation sont nées au XVIIIème ou au XIXème siècle. La réflexion a été, donc, toujours présente et s’est manifesté à partir des Lumières.
J’aimerais que le lecteur de ce recueil analyse bien les citations, des citations d’une richesse inouïe, d’une diversité impressionnante, d’une profondeur stupéfiante, d’une beauté rafraichissante et d’une sensibilité universelle. Bonne lecture et bonne lutte contre les stéréotypes et la mauvaise définition de rôles en matière d’art. Gagnons tous ensemble un avenir de beauté, un avenir plein d’art.
Et voilà le lien avec ce travail:
http://gelonchviladegut.com/?p=4116&lang=fr
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