Philippe Dagen, a publié un très intéressant article sur « Le Monde » du 16 Mai à propos de ce sujet. J’aimerais retenir ici certaines de ses idées.
Le 15 mai dernier ouvrait la foire Art Basel Hong Kong. Créée en 2013, elle est la version asiatique de la foire de Bâle, fondée en 1970, et la principale foire d’art contemporain au monde. Hongkong est sa deuxième extension, après Art Basel Miami Beach, dont la première édition a eu lieu en 2002. Celle-ci s’est imposée comme la principale manifestation en Amérique. Mais lui fait concurrence, aux Etats-Unis, Frieze New York Art Fair, dont la troisième édition s’est achevée le 14 mai. Cette dernière est la sœur cadette de Frieze London Art Fair, qui se tient à Londres chaque automne depuis 2003.
Du 25 au 27 avril s’est tenue pour la deuxième fois Paris Photo Los Angeles, version californienne de Paris Photo, dont la dix-huitième édition parisienne aura lieu en novembre au Grand Palais. Même principe chaque fois : la constitution d’un réseau à partir d’une foire à succès et l’exportation d’un label.
Si l’évolution se confirme, il y aura deux types de foires d’art contemporain : celles qui appartiennent à un réseau international et les autres. Celles-ci seront menacées par la puissance de leurs rivales, qui se sont assurées de la présence fidèle des galeries les plus puissantes, celles qui vendent les artistes en vue du moment à des collectionneurs: « prescripteurs » dans le meilleur des cas, spéculateurs dans le pire.
Il serait surprenant que des marchands de l’ampleur de David Zwirner ou Hauser & Wirth préfèrent louer un espace dans une foire de second rang – FIAC à Paris ou ARCO à Madrid – plutôt que se concentrer sur Bâle ou Miami. Même raisonnement pour des marchands plus modestes : il faut aller où vont les « gros », car c’est là que se rendent les acheteurs les mieux dotés. Le galeriste Larry Gagosian est le seul – le dernier sans doute – à conduire une politique d’expansion en son nom propre, avec ses quatorze adresses, de New York à Athènes, Paris, Londres, Rome et Hongkong. Cela fait de son nom une marque, au même titre que Frieze, Art Basel ou n’importe quelle marque d’un autre secteur industriel, financier ou médiatique.
L’art et son commerce sont entrés à leur tour dans le régime du capitalisme mondialisé et médiatisé. L’émergence de puissances économiques suscite l’installation sur place de succursales des « majors » du marché de l’art, comme celle des boutiques de grands couturiers et d’automobiles de luxe. D’une foire à l’autre se diffusent des produits artistiques, les mêmes partout, à quelques adaptations culturelles près. Et ce qui vaut pour elles vaut pour les salles de vente. Les deux grandes maisons, Sotheby’s et Christie’s, se sont, à partir de leur base londonienne, installées dans les capitales occidentales d’abord, puis partout où émergent des fortunes. Un seul exemple : la création d’Art Basel Hong Kong va de pair avec la création, dans la même cité, d’un vaste espace consacré à l’art contemporain par Sotheby’s en 2012 – pas loin d’une galerie Gagosian créée en 2011 – et avec la première vacation de Christie’s en Chine, à Shanghaï, en septembre 2013.
La mondialisation de l’art, c’est le développement de ces réseaux, qui, par logique de rentabilité, sont appelés à grossir, à être de moins en moins nombreux et à exercer un empire de plus en plus large, proportionnel à l’éclat de leur nom. Il faut désormais dire Frieze et Art Basel comme on dit Chanel et Ferrari.
Et comme on dit Guggenheim et Louvre, musées à leur tour devenus des labels ou griffes. Le plus ancien, Guggenheim, a sa maison mère à New York depuis 1959, dans le bâtiment à spirale intérieure conçu par Frank Lloyd Wright. La collection Peggy Guggenheim de Venise s’est ouverte en 1980 et le spectaculaire Guggenheim Bilbao, de Frank Gehry, en 1997. Le Guggenheim Berlin est né la même année – et mort en 2012. Plus éphémères encore ont été les projets de Guggenheim Hermitage Museum promis à Las Vegas et à Vilnius.
Quant au Guggenheim Abu Dhabi, confié aussi à Frank Gehry, sa construction, décidée en 2006, devrait s’achever en 2017. A cette date, le Louvre Abu Dhabi de Jean Nouvel fonctionnera depuis deux ans, l’inauguration étant prévue en 2015. Le Centre Pompidou songeait à Shanghaï et un protocole a été signé en 2006, mais sans suite. Les architectes stars de ces musées jouent le rôle que tiennent les stylistes dans la mode : une caution chic, une plus-value symbolique.
D’un Guggenheim à l’autre, les mêmes artistes passent, natifs des Etats-Unis très souvent. Ce que l’on a vu de la collection du Louvre Abu Dhabi n’a pas de singularité : un choix prévisible de grandes signatures, les mêmes qui font les enchères les plus élevées dans les ventes de Sotheby’s et Christie’s. Les artistes vivants exposés à Doha ou Abou Dhabi sont ceux que l’on voit dans les grandes ventes du soir à New York et dans les foires, de Bâle, Londres ou New York – et ils sont les plus chers. Leurs noms – Koons, Hirst – sont eux aussi devenus des marques, et eux-mêmes des chefs d’entreprise. Murakami a collaboré plusieurs fois avec le groupe LVMH.
D’aucuns, optimistes, avaient cru que la mondialisation de l’art permettrait l’apparition d’inconnus et un accroissement de la diversité. Pour l’heure, c’est l’inverse : une uniformisation. Uniformisation par le luxe sans doute, mais uniformisation quand même.
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