Que collectionnait Rodin?

Anatole France et Rodin étaient des amis proches…ou presque. Parce que c’est le propre Anatole France qui se plaignait que Rodin faisait preuve de ‘rapacité’, en « s’accaparant le moindre fragment d’antiques apportés dans notre pays », mettant ainsi, « tous les autres amateurs dans l’impossibilité de contenter leur goût ».
Il faut dire que le sculpteur frappait fort: par exemple, en 1908, il ne consacra pas moins de 150.000 francs de l’époque (plus de 400.000 € actuels) de son budget global à cette passion obsessive pour l’Antique. De façon que les marchands comprendraient vite qu’il fallait exploiter le filon et toqueraient chaque jour à sa porte pour lui proposer des objets.
Mais Rodin n’était pas un monstre dévorant (tel que l’affirmait Paul Gsell), mais plutôt il était dominé par un besoin vital qui agissait à son tour comme un filtre de jouvence. Lui-même écrivait à ce propos: « Les chefs-d’œuvre antiques se confondent dans mon souvenir avec toutes les félicités de mon adolescence; ou plutôt l’Antique est ma jeunesse elle-même, qui me remonte au cœur maintenant et me cache que j’ai vieilli ».
À sa mort, l’inventaire des 6400 œuvres de sa collection comporte entre autres plus de 1.000 statues et reliefs, en marbre ou en pierre, d’art égyptien, grec, romain et gallo-romain, et puis des monnaies, des médailles, des terres cuites, des mosaïques, des faïences, des tissus coptes, des verreries, des centaines et des centaines de moulages…Un vrai trésor, quoi.
De sa part, Rodin qualifiait cet attelage hétéroclite de « fragments des dieux » et pouvait disserter à l’envi sur chacune des pièces, et au même temps il avait une propension aux attributions audacieuses, généreuses et prestigieuses…mais, d’habitude, dans l’excès. De façon que les experts se chargèrent de tempérer sèchement cet enthousiasme. Ainsi, les conservateurs du Louvre missionnés en 1913 par l’état jugèrent l’ensemble « d’un intérêt très secondaire, sans valeur ajouté pour les collections nationales ».
Bon, la sévérité fut peut-être excessive, si on regarde par exemple, le puissant Apollon en marbre (IIe siècle après J.-C.), les très anciens et somptueux vases globulaires de Corinthe (Vié siècle avant J.-C.), certains masques funéraires égyptiens polychromes ou le Chat égyptien de bronze vert. Vraiment, quelle sévérité excessive des pontifes du Louvre…
En tout cas, l’intérêt premier de la collection d’Auguste Rodin résida assurément dans l’écho avec son génie personnel. Il se l’appropria au point de retravailler certaines œuvres, associant des éléments, et dessinant parfois même sur le support! Non seulement son anticomanie l’inspira mais il y trouva de surcroît une sorte de confirmation ou de justification à ses propres recherches: le goût du mystère, le culte de la nature, le sens de la figure partielle, la complexité du modelé en vue de rendre ce qu’il appela « le rayonnant aspect de la chair vivante »…

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