
Le marché de l’art mondial a profondément changé en une dizaine d’années, avec un boom des collectionneurs stars. De nouveaux riches, de la Russie à la Chine en passant par l’Inde, l’Indonésie, Singapour, le Brésil, le Mexique ou les pays du Golfe, rivalisent avec les milliardaires européens ou nord-américains dans cette ‘ruée vers l’art’. « L’art est devenu depuis cinq ans l’un des meilleurs placements financiers » déclare, précisément dans le long-métrage « Ruée vers l’art », James R. Hedges IV, à la tête d’un fonds spécialisé. Véritables amateurs, spéculateurs, hommes d’affaires en quête d’un supplément d’âme ou d’un statut social à travers l’art, les profils des collectionneurs sont divergents. Mais, vu la mise de fond de ces nababs de l’art, difficile de penser qu’ils négligent le retour possible sur investissement…
Dans ce cercle fermé qui compte une centaine de collectionneurs, dont les achats sont scrutés par un aréopage de suiveurs, la provenance d’une œuvre compte presque autant que la signature de l’artiste : avoir été apprécié par le patron de ‘hedge fund’ américain Steve Cohen, par l’oligarque russe Roman Abramovitch, président du Chelsea Football Club, par les géants français du luxe Bernard Arnault et François Pinault, ou encore par le milliardaire mexicain Carlos Slim, le Coréen star des médias Ahae, et ou la sheikha qatarie Al Mayassa, propulse immédiatement l’heureux élu au pinacle. Tous accèdent aux meilleures galeries, qui leur réservent leurs plus belles places.
Cet engouement pour un marché où l’offre de trophées n’est pas extensible explique la flambée d’artistes à la mode, restreignant d’autant les possibilités d’achats de musées toujours plus dépendants de la générosité des mécènes. « Ainsi Maurizio Cattelan, qui a érigé la transgression en art majeur, a atteint rapidement des prix phénoménaux, porté par des galeries et collectionneurs puissants », observe dans Les Échos du 24 Octobre 2013, Thierry Erhmann, patron de la base de données Artprice. Entre 2004 et 2011, les enchères atteintes par les œuvres de Cattelan ont presque quadruplé.
Aujourd’hui, « ce ne sont plus tant les musées et les critiques d’art qui font la cote des artistes que les collectionneurs avec quelques galeristes ou maisons de vente internationales », reconnaît le marchand Emmanuel Perrotin dans ce même article. C’est particulièrement vrai dans l’art contemporain, plus sensible aux manipulations de cote. Certes, un artiste a toujours besoin d’être légitimé par de grands musées et, comme le note Vincent Berjot, directeur des patrimoines au ministère Français de la Culture, « les conservateurs en France restent maîtres de leurs expositions; nous n’en sommes pas encore au système des trustees américains ». Mais force est de constater que les collectionneurs importants sont omniprésents dans les conseils d’administration de ces musées ou dans leurs cercles d’amis, et qu’ils sont devenus incontournables dans les programmations de ces institutions, par leurs prêts ou leurs financements.
« Les musées sont de plus en plus contraints à un exercice de funambule, programmant des expositions sans savoir comment les financer », note Brigitte Salmon, ex-directrice du musée des Arts décoratifs. Leurs deniers étant comptés, « 80 % de l’enrichissement des collections publiques aujourd’hui provient des collectionneurs, donc du marché », constatait récemment Gilles Andreani, conseiller maître à la Cour des comptes, lors d’un colloque organisé par le CVV, le gendarme des enchères. Or, « dans la cote d’un artiste, expositions d’envergure et donations aux musées phares jouent un rôle très important », souligne Arnaud Dubois, responsable des placements en art à l’Institut du patrimoine.
Et voilà comme certains collectionneurs deviennent les rois du monde de l’art. Il faudra suivre les répercussions sur les musées, les galeries, les artistes, les médias spécialisés, les autres collectionneurs, certaines techniques…Des turbulences et des dégâts sont à craindre.
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