Collectionneurs et musées privés

Collectionneurs et musées privés

Indépendamment des musées publics, les collectionneurs ont les moyens de valoriser leurs œuvres dans des écrins n’ayant rien à envier aux structures publiques, avec leurs fondations ; au point de générer un véritable circuit parallèle des œuvres que se prêtent ces lieux exceptionnels créés partout dans le monde. « Ces méga-collectionneurs préfèrent avoir leurs propres espaces d’exposition, car ce sont des vecteurs encore plus forts en termes d’image pour eux« , souligne Ingrid Brochard, fondatrice du MuMo, un musée mobile financé par du mécénat. Ces fondations ont désormais une place de choix dans le paysage mondial de l’art, du Palazzo Grassi de François Pinault à Venise aux fondations Louis Vuitton à Paris ou Carmignac à Porquerolles… de l’espace d’art de la famille Rubell à Miami à la Deste Foundation de Dakis Joannou à Athènes, du centre d’art du pétrolier norvégien Hans Rasmus Astrup à Oslo au parc d’Inhotim de l’homme d’affaires brésilien Bernardo Paz, en passant par les musées de Jakarta et de Shanghai du roi du poulet indonésien Budi Tek.

« L’explosion de ces lieux privés, quasi tous dédiés à l’art contemporain, est hallucinante. Le logiciel que nous avons élaboré pour permettre à ces centres d’art de suivre l’évolution de la cote de leurs acquisitions compte 17.000 abonnés ! » remarque Thierry Ehrmann, patron d’Artprice. Même les poids légers s’y mettent : de l’Institut Bernard Magrez créé par le propriétaire de châteaux viticoles, à la Villa Datris fondée par la patronne de l’entreprise d’emballages Raja, Danièle Kapel-Marcovici, en passant par la Villa Emerige de Laurent Dumas…qu’en France…

En ouvrant ces lieux parfois pourvus de résidences d’artistes, ces collectionneurs soutiennent les talents, mais se donnent aussi un accès direct à leurs œuvres, au grand dam des professionnels. Car le nerf de la guerre, ce sont ces pièces d’exception de jeunes pointures prometteuses que l’on déniche avant les autres. Il suffit de voir à quel point les créneaux réservés aux VIP dans les foires d’art sont prisés des chercheurs de pépites: une année, à Art Basel, la plus prestigieuse de ces foires, un collectionneur s’est déguisé en employé du site pour repérer le premier. Selon la rumeur, il s’agissait de François Pinault… Quoi qu’il en soit, l’homme d’affaires est l’un de ceux qui disposent du plus grand nombre d’atouts pour ‘faire’ la valeur d’un artiste, avec sa gigantesque collection montrée à la fois au Palazzo Grassi et dans diverses institutions; son ambassadeur aux réseaux indiscutables, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon; et sa maison de vente aux enchères leader mondial, Christie’s. D’autant plus que, « dans l’art contemporain, pour établir la cote d’un artiste, il faut passer par les ventes aux enchères : ces dernières, qui représentaient 75 millions d’euros dans le monde en 2002, s’élèvent à 1 milliard dix ans après!« , selon observe Thierry Ehrmann. « Il existe de réelles stratégies de certains collectionneurs qui mettent aux ventes aux enchères de New York des œuvres d’un artiste dont on retrouve les prix doublés à Art Basel« , souligne Olivier Kaeppelin, directeur de la fondation Maeght, ancien délégué aux arts plastiques du ministère de la Culture, dans Les Echos du 24 Octobre 2013.

Ce qui n’est pas sans effets pervers sur l’écosystème. « Il y a trop de spéculation. Les cotes et décotes dépendent de gros collectionneurs. Si ces mécènes disparaissent, l’artiste n’existe plus », s’inquiète la galeriste Aline Vidal. « Il y a moins de reconnaissance du travail de découverte accompli par les galeries sérieuses de taille intermédiaire« , déplore sa consœur Anne de Villepoix. « Certains artistes très demandés, réalisent quasi industriellement des pièces attractives au rythme effréné des foires. Mais c’est une économie très différente du reste du marché« , note l’artiste Miquel Mont.

Olivier Kaeppelin tempère : « Certes, il existe des ‘filons’ qui réduisent l’art à un simple objet comme un autre. Mais il est bon pour la France – pays au modèle centralisé, négligeant de reconnaître ces passions privées qui pourtant ont alimenté bien des musées – d’accueillir toutes ces fondations et de diversifier les points de vue. Je n’ai jamais pensé que le secteur public avait l’apanage du bon goût« . Un avis partagé par Jean de Loisy : « Le marché de l’art ne fait pas l’histoire de l’art, il en donne une image déformée, éphémère, avec à son sommet de très bons et de très mauvais artistes. Mais pourquoi se passer de la vision d’amateurs engagés ? Sans eux, il y aurait des carences dans les collections françaises. Par exemple, sans Yvon Lambert et sa donation, on serait passé à côté de Cy Twombly ou de Robert Ryman« .

Alors, ayons l’esprit libre…et l’œil attentif!

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