Jean-Paul Barbier-Mueller, passionné d’arts premiers, de Ronsard et de la Renaissance s’est éteint le 22 décembre dernier à Genève.
Il possédait l’une des collections privées les plus foisonnantes du monde, dont 6 550 pièces d’art d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques, rassemblées pour partie par son beau-père, Josef Mueller, à partir de 1930. Un trésor pour lequel il n’avait pas langue dans sa poche : «Au diable les «arts premiers»! Je ne connais pas d’expression plus stupide, plus inappropriée, plus dénuée de signification que celle-ci», s’emportait-t-il dans le magazine Arts et Cultures de sa fondation. «Si une forme d’expression artistique pouvait légitimement se réclamer au titre d’«art premier», c’est évidemment celle qui donna naissance aux grottes Chauvet (30 000 ans) et de Lascaux (18 000 ans), les premières peintures connues, chronologiquement», croyait Jean-Paul Barbier-Mueller.
Barbier-Mueller se souvenait de la préface à son livre, Civilisations disparues, de feu son ami Jean-François Revel, en 2000. Il notait: «S’il y a des «arts premiers», dites-moi quels sont les «arts derniers»?» Rendre leurs noms d’origine aux arts plutôt que de les rassembler «dans un vaste enclos aux limites mal dessinées» procède chez lui d’un sens aigu, quasi militant, de la mémoire du monde.
«En Afrique, quand un vieux meurt, c’est une bibliothèque qui brûle», affirmait-il, citant l’écrivain malien Amadou Hampaté Bâ. «Cette vérité doit nous hanter, martelait-il. Comment nous, hommes de l’écriture, armés pour conserver le patrimoine de l’humanité, pouvons-nous assister impassibles à l’extinction, à la disparition de mythes aussi riches que le furent ceux de la Grèce?».
Le verbe haut, Barbier-Mueller captait son auditoire sans forcer. Il fut avocat au barreau de Genève. Il a acheté des livres, les poètes du XVIe siècle, bien avant l’art tribal que son beau-père collecta dès 1930. De Ronsard à du Bellay, les fleurons de sa bibliothèque d’éditions originales, maintes fois exposés, ont été rassemblés en un ouvrage intitulé Mignonne, allons voir…
«On chantait l’amour et la guerre, des rois ou des belles, qui s’appelaient Cassandre, Hélène, Pasithée ou Meline, le vers se préoccupait alors de chaque circonstance de la vie», se réjouissait-il. Barbier-Mueller lui-même a taquiné la muse. «En 1962, j’avais écrit une série de poèmes en prose envoyés à l’éditeur Pierre Seghers, pour qui j’avais une admiration sans borne». Ses poèmes n’ont pas été édités. Mais ses passions, si. De sa bibliothèque de plus 2 000 ouvrages, dont des pamphlets uniques sur le duc de Guise, Barbier-Mueller a écrit une histoire des guerres de religion chronologique, intitulée La Parole et les Armes, en se référant uniquement à la correspondance des personnages de l’époque, de 1592 à 1598 (Éd. Hazan).
«Je suis né dépourvu de génie mais avec beaucoup de facilités», affirmait cet insatiable curieux. «Je suis homme, rien de ce qui touche à l’homme ne peut m’être indifférent», disait-il en reprenant les mots de l’auteur grec de pièces de théâtre Ménandre. Drôle de «velche» ! («un Suisse francophone pour un Suisse alémanique», explique-t-il).
Entre les Cézanne, Giacometti et autres chefs-d’œuvre d’Afrique noire, Barbier-Mueller se livrait avec ce désopilant détachement de ceux qui se jouent des mondanités. «Je laisse ça à ma femme», disait-il en évoquant Monique Barbier-Mueller, collectionneuse d’art contemporain épousée il y a soixante ans. «Son père avait une fortune au mur mais pas un centime à la banque. Il ne vendait jamais rien. C’était un homme replié sur lui-même», affirmait Barbier-Mueller qui, lui, fait tourner ses tableaux, masques et sculptures dans une centaine de musées dans le monde. Il gardait de Josef Mueller le souvenir d’un homme assis durant des heures devant ses œuvres avec lesquelles il dialoguait «véritablement». «Que voulez-vous que Picasso me dise de plus que ce que me dit ce tableau?», avait-il rétorqué un jour à son gendre lui demandant pourquoi il n’avait jamais questionné le peintre espagnol.
En 1985, Jean-Paul Barbier-Mueller avait accolé le nom de son beau-père au sien, pour permettre à ses enfants et ses petits-enfants, au nombre de onze aujourd’hui, de perpétuer le nom du grand-père. Barbier-Mueller marchait dans ses pas. «Je n’ai pas de compte en banque. Aucune autre fortune que les œuvres que j’ai achetées toute ma vie», confiait-il. Lui aussi changeait de siège pour pouvoir les scruter. «Mais cela n’enrichit pas mon intellect et ne satisfait pas mon immense curiosité», affirmait ce gentleman explorateur, toujours à la recherche «d’un texte merveilleux ou d’un mythe oublié» comme celui de la création des Karo Batak, un petit peuple d’Indonésie auquel il venait de consacrer un ouvrage à paraître. «Un tout petit pas pour l’humanité, mais un immense pas vis-à-vis de moi-même.»
Merci Mr. Barbier-Mueller et, maintenant, bon repos entre les Muses.
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