L’appropriation culturelle, un nouveau débat

L’appropriation culturelle, un nouveau débat

Tout est parti d’un éditorial dans Write, revue trimestrielle de la Writers’ Union of Canada (l’association nationale des écrivains professionnels) consacrée pour l’occasion aux auteurs autochtones du Canada, sous-représentés dans le panthéon littéraire national. Parmi les textes, l’éditorial d’un rédacteur en chef de la revue, Hal Niedzviecki, qui disait ne pas croire au concept d’«appropriation culturelle» dans les textes littéraires. Cette affirmation a suscité une polémique et une vague de fureur en ligne.

Suivant Violaine Morin (Le Figaro, du 16 mai 2017), on parle d’appropriation culturelle lorsqu’un membre d’une communauté «dominante» utilise un élément d’une culture «dominée», pour en tirer un profit, artistique ou commercial. C’est ici le cas pour les autochtones du Canada, appellation sous laquelle on regroupe les Premières Nations, les Inuits et les Métis, peuples ayant subi une conquête coloniale.

Des polémiques liées à l’appropriation culturelle ont eu lieu ces derniers mois de manière récurrente, par exemple sur l’usage par la marque Urban Outfitters de savoir-faire traditionnels des Indiens Navajos ou la commercialisation par Chanel d’un boomerang de luxe, considéré comme une insulte par certains aborigènes d’Australie.

La notion est moins usitée pour la création littéraire, où l’on parle souvent plus volontiers «d’orientalisme» pour l’appropriation par un auteur occidental de motifs issus d’une autre culture. Mais c’est bien cette expression qu’a choisie Hal Niedzviecki dans son plaidoyer intitulé «Gagner le prix de l’appropriation» : «à mon avis, n’importe qui, n’importe où, devrait être encouragé à imaginer d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres identités. J’irais même jusqu’à dire qu’il devrait y avoir un prix pour récompenser cela –le prix de l’appropriation, pour le meilleur livre d’un auteur qui écrit au sujet de gens qui n’ont aucun point commun, même lointain, avec lui».

Il y voit surtout une chance pour débarrasser la littérature canadienne de sa dominante «blanche et classes moyennes», dénonçant la crainte de «l’appropriation culturelle» comme un frein qui «décourage les écrivains de relever ce défi».

Le fait que cette prise de position ait été publiée dans un numéro précisément consacré aux auteurs autochtones a été perçu comme un manque de respect pour les participants. L’un des membres du comité éditorial, Nikki Reimer, s’en est pris sur son blog à un article «au mieux, irréfléchi et idiot, au pire (…) insultant pour tous les auteurs qui ont signé dans les pages de la revue ». Il affirme que cet article «détruit toutes les tentatives pour donner un espace et célébrer les auteurs présents, et montre que la revue “Write” n’est pas un endroit où l’on doit se sentir accueilli en tant qu’auteur indigène ou racisé.»

La Writers’ Union a rapidement présenté des excuses dans un communiqué. Hal Niedzviecki a lui aussi fini par s’excuser et a démissionné de son poste, qu’il occupait depuis cinq ans.

Son argumentaire a cependant dépassé les colonnes du magazine lorsque plusieurs journalistes ont offert de l’argent pour doter le fameux «prix». Ken Whyte, ancien rédacteur en chef de plusieurs publications nationales, a lancé sur Twitter : « Je donnerai 500 dollars pour doter le prix de l’appropriation, si quelqu’un veut l’organiser.»

D’autres figures de la presse canadienne, comme Anne Marie Owens (rédactrice en chef du National Post) et Alison Uncles (rédactrice en chef de Maclean’s Magazine), entre autres, se sont dits prêts à faire de même. Quelques heures plus tard, une poignée d’entre eux se sont excusés, dont Anne-Marie Owens, qui a déclaré qu’elle voulait simplement défendre «la liberté d’expression».

Pour les journalistes issus des minorités, l’affaire a également rappelé à quel point les médias manquent de diversité. Sur Buzzfeed, Scaachi Koul écrit : « Je n’en reviens pas d’avoir à dire ça, mais personne, dans l’histoire de l’écriture littéraire, n’a jamais laissé entendre que les Blancs n’avaient pas le droit de faire le portrait d’autochtones ou de gens de couleurs, en particulier dans la fiction. Franchement, on l’encourage plutôt. » Elle poursuit : «s’abstenir de pratiquer l’appropriation culturelle ne vous empêche pas d’écrire de manière réfléchie sur les non blancs. Mais cela vous empêche, en revanche, de déposséder les gens de couleur, ou de prétendre que vous connaissez leurs histoires intimement. Cela vous empêche de prendre une culture qui n’a jamais été à vous –une culture qui rend la vie plus difficile pour ceux qui sont nés avec dans le Canada d’aujourd’hui à majorité blanche– et d’en tirer profit.»

Le débat est servi. Un autre débat en trop ?

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