
Il est bien vrai que le meilleur « œil » peut se tromper. Et c’est vrai aussi qu’on pourrait faire une liste très longue des erreurs d’attribution commises par des connoisseurs célèbres. L’histoire de l’art est tout, sauf une science exacte. On se doit de rester très modeste lorsque l’on attribue car l’erreur guette.
Prenons un exemple : récemment, parmi les cinq œuvres présentées par Hubert Duchemin dans sa galerie parisienne, on pouvait trouver notamment (à côté d’un émouvant portrait par Jean-François Millet ou d’une ravissante esquisse de Dagnan-Bouveret), un mystérieux tableau du XVIIIe siècle représentant Herminie chez les Bergers. Ce tableau, dès qu’il est réapparu en 2012 sur le marché de l’art, a suscité toutes les hypothèses sans que personne ne s’accorde sur un nom. Le galeriste l’a présenté sous celui de Laurent Pécheux et le catalogue en faisait une démonstration. Avouons que cette hypothèse est séduisante. On y retrouve, certainement, la même gamme de coloris, des attitudes semblables, des visages qui se ressemblent. Peut-être nous pourrions aussi en être plutôt convaincus, à un point près : l’œuvre paraît plus belle que tout ce que Pécheux a pu peindre… Certains sont pleinement convaincus par ce nom, d’autres moins. Mais l’important reste la qualité exceptionnelle de l’œuvre qui sera peut-être un jour reconnue par tous comme le chef-d’œuvre de Pécheux, ou peinte par un autre artiste dont le nom reste à découvrir…
La difficulté d’attribuer devrait rendre plus générale une pratique finalement trop rare, même dans les musées : l’apposition avant le nom de l’artiste de la simple mention « attribué à ». Et, en conséquence, il me parait qu’il serait juste de faire l’éloge de l’ « attribué à ».
Écrire dans un catalogue, raisonné ou d’exposition, ou sur un avis à côté d’une pièce, « attribué à » n’est pas une honte, ne devrait pas être une honte, car cette locution, tout simplement, exprime un doute, une absence de certitude absolue que l’œuvre est bien par l’auteur dont on avance le nom. Tant que la démonstration qu’un tableau est effectivement peint par un artiste n’est pas faite, et que tous les gens considérés comme sérieuses (ce qu’il faudrait d’ailleurs définir) ne sont pas tombés d’accord sur un nom, il faudrait laisser la mention « attribué à ». Pourtant, ce n’est le cas ni dans les musées, ni sur le marché de l’art. Prenons un seul exemple dans les musées : bien qu’un nombre significatif de gens considèrent que la Vieille italienne du Musée André Malraux du Havre est bien de Géricault, tout le monde n’est pas d’accord avec cette idée, parmi lesquels des gens extrêmement compétents comme Jacques Foucart. L’œuvre devrait donc être présentée a minima comme « attribuée à Géricault », voire comme « attribuée à Schnetz » ou mieux encore comme « attribuée à Géricault ou Schnetz ». Bon, tout en considérant que, peut-être, cette dernière présentation serait encore pire pour la réputation du musée entre les experts et le public…
D’autre part, il faut bien constater que dans les ventes aux enchères, le terme « attribué à » est très fluctuant. Parfois il s’applique à une œuvre dont on sait parfaitement qu’elle n’est pas de l’artiste mais qui lui ressemble, d’autres fois il exprime seulement une absence de certitude… Il faudrait s’entendre sur une appellation claire et bien définie, et ne mettre un nom en plein que lorsque celui-ci est certain « en l’état actuel des connaissances » et que tous les spécialistes sérieux l’admettent. Lorsque l’un ou plusieurs d’entre eux contestent l’attribution et qu’un doute demeure, le terme « attribué à » devrait être utilisé. Admettons néanmoins qu’il s’agit d’un objectif complexe probablement impossible à atteindre complètement, d’autant que même la définition de « spécialiste sérieux » peut prêter à discussion…
Voilà des vastes sujets de difficile résolution …ou non…
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