Qu’est-ce que c’est un curateur?

Le métier de curateur est sans doute l’un des plus jeunes métiers du monde. Il y a cinquante ans, commissaire d’exposition, cela n’existait quasiment pas. Rassembler des artistes selon le bon plaisir de sa pensée et organiser des expositions comme des points de vue sur le monde ? Très peu l’avaient envisagé, et nul n’en avait fait son métier. Il fallut attendre le Suisse Harald Szeemann et les années 1960 pour que s’invente ce rôle. Les Français lui donnèrent un nom triste d’autorité policière (commissaire), les Anglo-Saxons le titre à peine plus doux de curator, qui gagne peu à peu les faveurs. Francisé en curateur, il signifie en latin « celui qui prend soin ».

Chouchouter les artistes, les inciter au meilleur, les fédérer en groupes inattendus, les bousculer en vue d’un résultat passionnant. Et cette vocation connaît toujours de plus en plus d’appelés. Pourtant, elle n’est pas de tout repos. L’indépendance s’impose souvent aux jeunes curateurs, par obligation et par choix; le nomadisme leur est nécessité; la précarité, devient un lieu commun. Mais ils forment désormais aujourd’hui un maillon indispensable de la chaîne de l’art contemporain.

Être curateur c’est se tenir en éveil à l’égard de la jeune création, c’est élaborer des projets d’expositions originales, les mettre en résonance avec un lieu… Pour un curateur il faut toujours aimer construire, que ce soit un texte critique ou une pensée dans l’espace, parce qu’une exposition doit être toujours un prolongement physique du travail lié au langage. Pour un curateur il existe une absolue nécessité de créer une narration spatiale, au-delà de l’approche conceptuelle similaire à l’écriture d’un essai. Il faut se laisser travailler par l’architecture du lieu d’accueil, et il faut la travailler, ensuite.

Les curateurs, donc, doivent avoir mille talents. Ils doivent être en même temps, ou consécutivement, professeurs, régisseurs, conseillers de collections et, bien sûr, critiques,… Et bien que les débats sur leur statut professionnel soient complexes, le début de solution paraît évident : ils devront tout simplement, à mon avis, avoir le même statut que les critiques et être payés en droits d’auteur. Mais il faudrait en finir avec la situation actuelle de leur statut trop précaire. Dans ce sens, on pourrait établir une situation comparable: imaginons dans le domaine du cinéma des créatures qui seraient à la fois réalisateur et producteur, mais aussi scripte, accessoiriste, voire acteur. Eh bien le curateur en serait l’équivalent dans le champ des arts plastiques.

Souffrant des paradoxes du métier, le curateur est souvent payé au lance-pierres, mais parfois traité royalement par quelques grandes marques qui travaillent leur image par le biais de l’art contemporain. Dans tous les cas, l’économie est au cœur de la pratique. Peut-être même trop, le plus souvent. En pratique, le rôle du curateur se réduit de plus en plus à un rôle de super chargé de projet, et il n’est pas rare qu’on lui demande de trouver des financements complémentaires, ce qui demande d’autres compétences et empiète sur le temps consacré à ces recherches « curatoriales ». Mais, ils sont les hommes indispensables, les hommes et les femmes à tout faire…ou presque.

D’autre part, le dialogue du curateur avec l’artiste va du champ intellectuel aux questions les plus bassement matérielles. Probablement, pour être curateur, vaut-il mieux savoir répondre à ses mails en pleine nuit et dresser un tableau Excel que d’arriver la bouche en cœur avec un grand savoir en histoire de l’art. Mais cela ne doit pas empêcher de développer une vision romantique des expositions, des expositions qui fonctionneraient comme un film, sans scénario, mais qui relèvent aussi de la psychanalyse et de l’alchimie. Même en travaillant pour une maison commerciale, il faut être capable d’être et de se dire auteur, jouer comme dans un jeu de go, trouver la meilleure conjonction et surmonter les fortes contraintes en présence.

Le mot est lâché, et cela signifie que chaque curateur doit se positionner dans le débat. Un curateur doit considérer sa pratique comme un geste. Sans se dire artiste, il doit essayer d’actualiser sa pensée dans une matière, qui est celle des autres. Et il n’y a pas mal de difficultés à le faire.

Les temps sont donc à des réflexions nouvelles. À mon avis, après le commissaire-auteur, puis le commissaire-producteur, le curateur voit aujourd’hui son autorité se dissoudre dans le collectif et le partage du pouvoir. Il doit être présent et combatif avec ses atouts, ses soucis, ses craintes, son expertise, face à ces nouveaux défis. Parfois presque jusqu’à son anéantissement, que certains regrettent, quand ils évoquent l’impact croissant d’Internet, parce que les gens ne se déplacent plus pour voir les projets, et qu’ils les découvrent sur le Net. Cela a généralisé des pratiques dites de drag & drop [glisser-déposer], de telle sorte que certains curateurs découvrent une œuvre sur le Web et la font venir sur une exposition, mais cela on le fait souvent au détriment du sens ou de la relation à l’artiste.

Aux antipodes, d’autres curateurspréfèrent rappeler l’essentiel, c’est-à-dire que dans ce métier la subjectivité est mise à mal, pour mettre en avant celle des autres. Il s’agit néanmoins de se découvrir soi-même à travers une pratique, dans une constante relation de fascination et de désir pour les artistes.

Voilà le débat ou les débats qui sont ouverts. Faites vos jeux. Et prenez soin, chers curateurs, de l’art et des artistes, avec du désir…

2 commentaries

  • Rossi29 Sep, 2015 a las 5:09
    Pour moi le curateur est un "intellectuel travailleur culturel"moins payé que l'artiste et mieux payé que certains fonctionnaires de police.Il responsabilise plus l'art au sein du domaine public que dans l'artistique.Il travaille avec divers interlocuteurs des institutions et des publics différents....il fait et défait l'artiste et l'art, il éduque ,surprend parfois ,rédigent des textes complexes et incompréhensibles ,exprime le point de vue des plus nombreux,façonne avec artifice les pensées les plus folles,il sait ce qu'il fait mais il ne saura jamais à quoi cela peut servir.Il ne peu être artiste car il ne peu comprendre ni la façon,ni me comment,il ne rend compte que de la priorité du pourquoi . Il provoque l'intellect et le plaisir,il n'est pas la figure de prou de l'art ,il est à la poupe ,sans être au gouvernail. Il n'a rien inventer car il a toujours exister ...de tout temps il est devenu une mutation génétique au service de l'action médicale et des divers cliniques privées que sont les galeries et les foires.
  • Margaux14 Déc, 2014 a las 5:25
    On a lu les mêmes articles, sur le curating ! Joli Cut-up.

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