Réflexions sur l’expertise

Réflexions sur l’expertise

Dans une galerie quelconque, nous pourrions nous trouver face-à-face avec des œuvres d’art. Ceux-ci présentent tous la caractéristique d’être passées en vente aux enchères, et de ne pas l’avoir été sous leur bonne attribution. Chacun d’entre eux constitue donc une découverte, faite grâce à ce qu’on appelle le connoisseurship, l’« œil » si l’on préfère, c’est-à-dire cette capacité qu’ont certains historiens de l’art et marchands (plus nombreux qu’on ne le pense) de savoir attribuer des œuvres qui ne le sont pas, ou changer d’attribution des œuvres qui sont données à un autre artiste.

Et, en plus, la démarche, d’habitude, est originale. Si beaucoup de marchands trouvent, et attribuent, ils préfèrent souvent que leurs trouvailles restent discrètes. On les comprend : l’« erreur sur la substance » menace, qui peut priver le découvreur du fruit de son travail et de son savoir. La loi, en France, est sur ce sujet injuste : elle menace de priver les plus savants de ce qu’ils ont pu acheter en public (nous parlons ici de ventes aux enchères), en dédaignant la responsabilité des intermédiaires, experts et commissaires-priseurs.

Lorsque l’achat a été effectué hors de France, il en va tout autrement. L’acquéreur ne peut être spolié de sa découverte. C’est ainsi qu’à la TEFAF, les galeristes Bertrand Talabardon et Bertrand Gauthier ont pu dévoiler sans la cacher l’origine de leur Rembrandt, acquis dans une vente aux enchères aux États-Unis, et attribué par eux. Les mêmes galeristes ont dû, a contrario, composer avec le vendeur du Friedrich qu’ils avaient emporté dans une vente en France, faute de quoi ils auraient pu être poursuivis et, qui sait, privés de leur tableau.

Cette situation est intenable et le ministère de la Culture aurait depuis longtemps dû se pencher sur cette question pour figer dans la loi la protection du découvreur qui agit en salle des ventes. Celui-ci attribue, grâce à son savoir, l’œuvre à un artiste, et l’achète, engageant parfois beaucoup d’argent, sans avoir aucune garantie qu’il ait raison. Il prend un grand risque, et peut tout perdre s’il se trompe, mais aussi tout perdre s’il a raison. Tout le monde sait que le meilleur moyen d’éviter ce genre de problème est d’exporter immédiatement l’objet en question et on ne compte plus les œuvres majeures qui ont quitté le territoire français pour resurgir, blanchies, à l’étranger, où toute procédure est impossible, ce qui contribue encore davantage à appauvrir notre patrimoine. Si le ministère de la Culture était efficace et conscient de son rôle, il devrait s’assurer que le système fonctionne comme il le devrait : lors d’une vente aux enchères, l’expert et le commissaire-priseur sont responsables, et ils sont assurés. L’erreur est humaine : s’ils ont mal identifié l’œuvre, leur assurance doit couvrir le dommage. Sinon, à quoi bon un expert ?

L’expertise est, en elle-même, un problème. D’abord parce que tout un chacun peut s’intituler expert. Ensuite parce que l’expert n’est qu’un homme ou une femme qui peut se tromper. Le meilleur expert est celui qui se trompe le moins souvent, dit-on parfois. Et de mauvais experts, décrétés spécialistes d’un peintre uniquement parce qu’ils établissent son catalogue (dans le meilleur des cas) ou parce qu’ils sont de sa famille (dans le pire), le marché de l’art en connaît beaucoup. Certains ont pignon sur rue, on les appelle systématiquement pour dire qu’une œuvre est bonne ou mauvaise, et leur verdict tient lieu de jugement définitif. Ils peuvent rendre bon ce qui est évidemment mauvais, ou mauvais ce qui est évidemment bon.

Un expert peut avoir raison, mais il peut aussi se tromper. Certains se trompent souvent, et ils sont pourtant très actifs sur le marché, presque tout le monde faisant appel à eux alors même qu’ils savent qu’ils ne sont pas fiables. Il y a une certaine perversité dans ce système.

Désormais, certains ne jurent que par la science, pensant qu’une étude très poussée (analyse des pigments, du support, dendrochronologie, radiographie, u.v., etc., etc.) permet l’attribution. Les analyses scientifiques sont des outils. Elles peuvent confirmer des hypothèses, aider dans certains cas les spécialistes, mais il n’existe pas de machine à attribuer, en tout cas aucune qui soit meilleure que l’œil.

Prenons un exemple récent : un carnet de dessins de Van Gogh serait réapparu et a fait la une de bien des journaux, on ne compte pas le nombre de magazines en faisant la découverte de l’année, voire du siècle. Mais ont-ils réellement regardé les dessins ? Il n’y a pas vraiment besoin d’analyses scientifiques poussées, ni d’explications historiques ou iconographiques pour se faire une idée de l’authenticité de ces feuilles. Il suffit de les regarder et, si l’on n’est pas convaincu, de les comparer avec des dessins avérés de Van Gogh. Gageons que cette « découverte » sera oubliée d’ici peu. Mais qu’en penseront les néophytes à qui l’on présente ces dessins comme des Van Gogh sans savoir que tout le milieu de l’histoire de l’art et du marché de l’art s’en amuse ?

Etiquettes: Art, expérience, experts

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