Dans un pays gagné par le repli, Wroclaw, la dynamique capitale européenne de la culture 2016 défend un art ouvert et tire parti de son histoire mouvementée.
En janvier dernier, lorsque le ministre de la culture polonais est venu lancer en grande pompe les festivités à Wroclaw, la nouvelle capitale européenne de la culture, il s’est fait huer par le public réuni dans le Forum national de musique. Dans cette ville qui donne ses voix depuis vingt-cinq ans à un maire de la droite modérée et pro-européenne, l’assistance a peu goûté le discours du nouveau ministre conservateur vantant une culture «basée sur un système de valeurs polonaises et chrétiennes européennes».
En cette festive année 2016, Wroclaw a des allures de paradoxe. La capitale de la Basse Silésie, à l’ouest du pays, vitrine économique avec ses 3,4 % de chômage, offre le visage d’une cité ouverte et accueillante, alors même que le nouveau gouvernement polonais est dans le collimateur de la Commission européenne pour sa reprise en main de la justice et des médias. Côté culture, le nouveau gouvernement a pris position contre les œuvres jugées pas assez « patriotes ».
À Wroclaw, malgré les débats politiques, on continue donc de célébrer la culture sur tous les tons: un millier d’événements sont prévus, populaires ou plus pointus, pilotés par huit commissaires. On y insiste sur l’esprit d’ouverture légendaire et le multiculturalisme de la ville ; et sur l’histoire locale heurtée, sans équivalent en Europe.
La quatrième ville polonaise a été successivement sous domination polonaise, tchèque, hongroise, autrichienne, prussienne. Devenue l’allemande Breslau, elle est tombée devant l’armée rouge en 1945 après un siège qui l’a laissée détruite à 80 %. La population allemande qui y restait a été chassée en même temps que les nouvelles frontières attribuaient la ville à la Pologne. Les nouveaux arrivants ? Des déplacés venus d’anciens territoires polonais réquisitionnés par l’URSS, contraints de venir peupler les ruines.
À l’écart de la ville, un étonnant dôme aux allures de gros gâteau, la halle du centenaire, a été rénovée et son annexe restaurée pour accueillir des expositions. Cette architecture pionnière en béton armé, classée à l’UNESCO, incarne surtout le passé allemand que les dirigeants communistes ont longtemps voulu gommer. De son côté, le QG de la capitale européenne de la culture, le café et centre d’art Barbara, est lui aussi chargé d’histoire. Avec ses grandes verrières et ses mosaïques noir et blanc, le lieu est établi à l’endroit où se réunissaient les trublions d’Alternative Orange, ce mouvement politico-artistique qui défia le régime communiste et la loi martiale dans les années 1980 par des happenings poétiques.
Contrairement à d’autres capitales européennes de la culture moins dotées, la ville n’a pas eu à chercher loin pour bâtir son programme. La pratique culturelle locale, souvent commencée clandestinement pendant la période communiste, y était forte. Citons une tradition littéraire intense, couronnée cette année par le titre de capitale mondiale du livre attribué par l’UNESCO ; ou bien l’héritage laissé par un grand metteur en scène et théoricien du théâtre, Jerzy Grotowski. Ou encore ce centre d’art pionnier dans les nouveaux médias, WroArt, qui a commencé ses activités en 1989 sous forme de laboratoire culturel underground.
La mairie espère doubler les pratiques culturelles de la population, et augmenter la fréquentation touristique à Wroclaw. Mais la question de l’après se pose ici plus vivement qu’ailleurs. Avec le nouveau gouvernement, qui veut par la culture promouvoir l’héritage national, les institutions culturelles ont déjà senti le vent tourner : le Théâtre polonais, à Wroclaw, s’est attiré l’ire du ministre de la culture en début d’année avec La Jeune Fille et la Mort, en prévoyant des scènes de sexe jouées par des acteurs porno. En guise de protestation, le directeur Krzysztof Mieskowski donne actuellement dans son théâtre Le Procès, de Kafka.
De fait, les musées de Wroclaw ont vu les subventions de l’État se tarir. Au centre WroArt, pour la première fois, ni les projets d’art visuel ni les programmes éducatifs, n’ont reçu de soutien ministériel. Au musée d’art contemporain, la situation est identique. «Aucun des quatre musées d’art contemporain de Pologne n’a vu son dossier accepté», explique Dorota Monkiewicz, qui a dû annuler tout son programme de 2017 pour se concentrer sur une seule exposition, consacrée au travail. Elle ajoute : «Il faut repenser totalement le système, faire appel au privé, et collaborer. Il faut avancer, on ne peut pas faire que pleurer.» À Wroclaw, la déploration n’a jamais fait partie de la culture.
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