Depuis le XVe. Siècle et jusqu’à la diffusion de la photographie, les gravures ont été un type d’images, en quantité et en diversité, dont la valeur iconographique et en termes de diffusion de la connaissance est certainement restée sans égal dans l’histoire de l’art. Réalisées avec les techniques les plus diverses, les gravures ont représenté toutes sortes d’aspirations, d’intérêts et d’activités humaines. Elles sont une source inépuisable d’information historique et visuelle, et sont aussi, pour les spécialistes comme pour les collectionneurs et les amateurs d’art en général, une stimulation pour leur curiosité. Dans un échantillon de gravures nous pouvons trouver tout un monde à découvrir : un monde de pays, d’époques, d’artistes, de styles, d’idéaux, de formes de beauté et de perfection.
Personne n’a de doute sur le très haut niveau des gravures réalisées par Dürer, Rembrandt, Piranèse, Tiepolo ou Goya. Nous ne devons pas oublier malgré tout qu’il y a beaucoup d’artistes moins connus –les Salader, Goltzius, Müller, Callot , Bosse, Waterloo, della Bella, et beaucoup d’autres- qui font partie aussi des meilleurs représentants européens de l’art graphique, auteurs de pièces qui brillent d’une lumière particulière, soit par la virtuosité technique qu’elles montrent, soit par leur originalité, beauté ou force expressive. Certaines de ces pièces sont bien meilleures que beaucoup de peintures. De toute façon, ces faits sont assez peu reconnus. Que la plupart des gravures anciennes soient en noir et blanc les rendent difficile à apprécier pour tous ceux qui ont des difficultés à dépasser l’effet décoratif des couleurs de la peinture. Malgré tout, la grande diversité d’effets et la richesse de nuances que peut obtenir un graveur habile avec une seule encre est un fait évident pour n’importe quel amateur de cet art. Il peut aussi y avoir un préjudice car on parle d’une technique qui permet de faire, jusqu’un certain point, (car les planches s’épuisent), pas mal d’images presque identiques. Sur ce point, cependant, il y a un malentendu. Les images peuvent être très semblables, mis elles ne sont pas tout-à-fait les mêmes. D’une même matrice on peut faire nombreuses gravures, mais finalement ce n’est toujours, qu’un processus manuel : l’encré, le type de papier, et, en définitive, l’impression, font que chaque estampe, pour un œil formé et préparé, sera différente.
Une question souvent posée au sujet des gravures anciennes –et à laquelle on ne peut donner qu’une réponse approximative- est de savoir combien de gravures on peut trouver de tout ce qui a été fait à partir d’une planche qui fut encrée pour la première fois voici trois-cents ou quatre-cents ans. Bien que d’une première impression à partir d’une planche de cuivre, disons par exemple, du XVIIe siècle, on ait fait deux-cents ou trois-cents exemplaires, on imagine bien qu’à travers les siècles des exemplaires de papier sont perdus ou détruits. Tout ceci veut dire que le nombre de gravures qui peut encore exister, même si c’est impossible à savoir exactement, de toutes façons se réduit très clairement. En fait, qu’une xylographie de Dürer puisse avoir été conservée jusqu’aujourd’hui, après être passée par on ne sait combien de mains différentes, n’est peut-être pas assez salué comme un petit miracle. Pour la bibliographie spécialisée, une gravure qui n’est pas facile à trouver dans la plupart des cabinets des grands Musées et qui sur les dix dernières années est sortie moins de cinq fois aux enchères ou à la vente dans des galeries, peut être qualifiée à coup sûr de très rare. Il faut considérer comme très rares, par exemple, les eaux-fortes de Rembrandt qui avaient été imprimées du vivant de l’artiste et dont on a calculé qu’il s’en trouve seulement, dans le monde entier, entre trente et cinquante exemplaires.
La rareté, donc, devient un élément principal pour la valorisation –et la cote des gravures. Une valorisation dans laquelle compte aussi, et même beaucoup, l’importance de l’auteur, le sujet de l’estampe, l’état de conservation, et le moment et la qualité de l’impression. Une chose, de toute façon, est presque sûre. Ces feuilles de papier, si fragiles et délicates, d’élaboration si complexe et raffinée si souvent, sont au nombre réduit des œuvres d’art faites par les grands artistes du passé qu’un collectionneur actuel, sans avoir une grande fortune, a encore la possibilité d’avoir.
Vicenç Furió
Professeur d’Histoire de l’Art
à l’Université de Barcelone.